mercredi 25 août 2010

Suisse tamoule

Ils étaient tranquillement assis sur leur banc, contre la façade en bois du restaurant, le visage luisant de crème tourné vers le soleil d'hiver. Ils buvaient une bouteille de Veltliner et picoraient dans l'assiette de charcuterie des Grisons qu'on avait déposée sur leur table.

Le cuisinier, Martin Suter

dimanche 25 avril 2010

Dans le gobelet de vermeil, des paillettes étincelantes, une liqueur d'émeraude... et les yeux d'or du démon

Le jour, encore, tout allait bien. Le Père était assez calme : il préparait ses réchauds, ses alambics, triait soigneusement ses herbes, toutes herbes de Provence, fines, grises, dentelées, brûlées de parfums et de soleil... Mais, le soir, quand les simples étaient infusés et que l'élixir tiédissait dans de grandes bassines de cuivre rouge, le martyre du pauvre homme commençait.
-- ... Dix-sept... dix-huit... dix-neuf... vingt !

Les gouttes tombaient du chalumeau dans le gobelet de vermeil. Ces vingt-là, le père les avalait d'un trait, presque sans plaisir. Il n'y avait que la vingt et unième qui lui faisait envie. Oh ! cette vingt et unième goutte !... Alors, pour échapper à la tentation, il allait s'agenouiller tout au bout du laboratoire et s'abîmait dans ses patenôtres. Mais de la liqueur encore chaude il montait une petite fumée toute chargée d'aromates, qui venait rôder autour de lui et, bon gré mal gré, le ramenait vers les bassines... La liqueur était d'un beau vert doré... Penché dessus, les narines ouvertes, le père la remuait tout doucement avec son chalumeau, et dans les petites paillettes étincelantes que roulait le flot d'émeraude, il lui semblait voir les yeux de tante Bégon qui riaient et pétillaient en le regardant...

Lettres de mon moulin  [L'élixir du Révérend Père Gaucher], Alphone Daudet

Légumes, poisson, oeufs, lait et fromage...

Le Marseillais, industrieux et vif, toujours affairé, toujours en mouvement, courait l'île du matin au soir, jardinant, pêchant, ramassant des œufs de gouailles, s'embusquant dans le maquis pour traire une chèvre au passage ; et toujours quelque aïoli ou quelque bouillabaisse en train.

Lettres de mon moulin [Le phare des Sanguinaires], Alphonse Daudet

mardi 20 avril 2010

Les cerises de Mamette

Tout à coup le vieux se dresse sur son fauteuil :
-- Mais j’y pense, Mamette..., il n’a peut-être pas déjeuné !
Et Mamette, effarée, les bras au ciel :
-- Pas déjeuné !... Grand Dieu !

Je croyais qu’il s’agissait encore de Maurice, et j’allais répondre que ce brave enfant n’attendait jamais plus tard que midi pour se mettre à table. Mais non, c’était bien de moi qu’on parlait ; et il faut voir quel branle-bas quand j’avouai que j’étais encore à jeun :
-- Vite le couvert, petites bleues ! La table au milieu de la chambre, la nappe du dimanche, les assiettes à fleurs. Et ne rions pas tant, s’il vous plaît ! et dépêchons-nous…
Je crois bien qu’elles se dépêchaient. À peine le temps de casser trois assiettes le déjeuner se trouva servi.
-- Un bon petit déjeuner ! me disait Mamette en me conduisant à table ; seulement vous serez tout seul… Nous autres, nous avons déjà mangé ce matin.
Ces pauvres vieux ! à quelque heure qu’on les prenne, ils ont toujours mangé le matin.

Le bon petit déjeuner de Mamette, c’était deux doigts de lait, des dattes et une barquette, quelque chose comme un échaudé ; de quoi la nourrir elle et ses canaris au moins pendant huit jours… Et dire qu’à moi seul je vins à bout de toutes ces provisions !… Aussi quelle indignation autour de la table ! Comme les petites bleues chuchotaient en se poussant du coude, et là-bas, au fond de leur cage, comme les canaris avaient l’air de se dire : « Oh ! ce monsieur qui mange toute la barquette ! »

Je la mangeai toute, en effet, et presque sans m’en apercevoir, occupé que j’étais à regarder autour de moi dans cette chambre claire et paisible où flottait comme une odeur de choses anciennes… Il y avait surtout deux petits lits dont je ne pouvais pas détacher mes yeux. Ces lits, presque deux berceaux, je me les figurais le matin, au petit jour, quand ils sont encore enfouis sous leurs grands rideaux à franges. Trois heures sonnent. C’est l’heure où tous les vieux se réveillent :
-- Tu dors, Mamette ?
-- Non, mon ami.
-- N’est-ce pas que Maurice est un brave enfant ?
-- Oh ! oui c’est un brave enfant.
Et j’imaginais comme cela toute une causerie, rien que pour avoir vu ces deux petits lits de vieux, dressés l’un à côté de l’autre...

Pendant ce temps, un drame terrible se passait à l’autre bout de la chambre, devant l’armoire. Il s’agissait d’atteindre là-haut, sur le dernier rayon, certain bocal de cerises à l’eau-de-vie qui attendait Maurice depuis dix ans et dont on voulait me faire l’ouverture. Malgré les supplications de Mamette, le vieux avait tenu à aller chercher ses cerises lui-même ; et, monté sur une chaise au grand effroi de sa femme, il essayait d’arriver là-haut... Vous voyez le tableau d’ici, le vieux qui tremble et qui se hisse, les petites bleues cramponnées à sa chaise, Mamette derrière lui haletante, les bras tendus, et sur tout cela un léger parfum de bergamote qui s’exhale de l’armoire ouverte et des grandes piles de linge roux... C’était charmant.

Enfin, après bien des efforts, on parvint à le tirer de l’armoire, ce fameux bocal, et avec lui une vieille timbale d’argent toute bosselée, la timbale de Maurice quand il était petit. On me la remplit de cerises jusqu’au bord ; Maurice les aimait tant, les cerises ! Et tout en me servant, le vieux me disait à l’oreille d’un air de gourmandise :
— Vous êtes bien heureux, vous, de pouvoir en manger !... C’est ma femme qui les a faites... Vous allez goûter quelque chose de bon.

Hélas ! sa femme les avait faites, mais elle avait oublié de les sucrer. Que voulez-vous ! on devient distrait en vieillissant. Elles étaient atroces, vos cerises, ma pauvre Mamette... Mais cela ne m’empêcha pas de les manger jusqu’au bout, sans sourciller.

Lettres de mon moulin [Les vieux], Alphonse Daudet (Paul Arène)

La peau leur en aurait craqué en rôtissant

-- Deux dindes truffées, Garrigou ?...
-- Oui, mon révérend, deux dindes magnifiques bourrées de truffes. J'en sais quelque chose, puisque c'est moi qui ai aidé à les remplir. On aurait dit que leur peau aller craquer en rôtissant, tellement elle était tendue...

Lettres de mon moulin [Les trois messes basses], Alphonse Daudet

Remuant les bouteilles, dérangeant les mouches

Quand elle fut bien sûre que je parlais sérieusement, l'hôtesse se mit à aller et venir d'un air très affairé, ouvrant des tiroirs, remuant des bouteilles, essuyant des verres, dérangeant les mouches... On sentait que ce voyageur à servir était tout un événement. Par moments la malheureuse s'arrêtait, et se prenait la tête comme si elle désespérait d'en venir à bout.
Puis elle passait dans la pièce du fond ; je l'entendais remuer de grosses clefs, tourmenter des serrures, fouiller dans la huche au pain, souffler, épousseter, laver des assiettes. De temps en temps, un gros soupir, un sanglot mal étouffé...
Après un quart d'heure de ce manège, j'eus devant moi une assiettée de passerilles (raisins secs), un vieux pain de Beaucaire aussi dur que du grès, et une bouteille de piquette.
-- Vous êtes servi, dit l'étrange créature ; et elle se retourna bien vite prendre sa place devant sa fenêtre.

Lettres de mon moulin [Les deux auberges], Alphonse Daudet

Dieu ! le joli repas

Tout à coup une musique de fifres et de tambourins éclate dans la rue, devant la fenêtre, et voilà mon Mistral, qui court à l'armoire, en tire des verres, des bouteilles, traîne la table au milieu du salon, et ouvre la porte aux musiciens en me disant :
-- Ne ris pas... ils viennent me donner l'aubade... je suis conseiller municipal.
La petite pièce se remplit de monde. On pose les tambourins sur les chaises, la vieille bannière dans un coin ; et le vin cuit circule. Puis quand on a vidé quelques bouteilles à la santé de M. Frédéric, qu'on a causé gravement de la fête, si la farandole sera aussi belle que l'an dernier, si les taureaux se comporteront bien, les musiciens se retirent et vont donner l'aubade chez les autres conseillers. A ce moment la mère de Mistral arrive.

En un tour de main la table est dressée : un beau linge blanc et deux couverts. Je connais les usages de la maison ; je sais que lorsque Mistral a du monde, sa mère ne se met pas à table... La pauvre vieille femme ne connaît que son provençal et se sentirait mal à l'aise pour causer avec des Français... D'ailleurs, on a besoin d'elle à la cuisine.
Dieu ! le joli repas que j'ai fait ce matin-là - un morceau de chevreau rôti, du fromage de montagne, de la confiture de moût, des figues, des raisins muscats. Le tout arrosé de ce bon châteauneuf des papes qui a une si belle couleur rose dans les verres...

Lettres de mon moulin [Le poète Mistral], Alphonse Daudet,

dimanche 7 mars 2010

Le fameux yōkan de chez Fujimura

-- Ah, un visiteur qui se fait rare ! Quand on devient un habitué de la maison comme moi, Kushami a tendance à oublier ses devoirs d'hôte. Il faudrait n'aller chez lui qu'une fois tous les dix ans : ces gâteaux sont bien meilleurs que ceux que tu sers d'habitude, dit Meitei en se mettant dans la bouche, sans plus de cérémonie, un morceau du fameux yōkan de chez Fujimura*.

*Célèbre magasin de gâteaux japonais dans le quartier de Hongō à Tokyō

Je suis un chat, Sôseki